Protectionnisme ou libre-échange, des politiques toujours en débat ?

1 – pourquoi et comment les Etats favorisent-ils le libre-échange ?

Qu’est-ce que le libre-échange ?

Définition :
Libre échange : doctrine prônant la liberté de circulation de tous les biens économiques (biens, services, capitaux, devises, etc.) entre les pays.


Le libre-échange est donc une doctrine en faveur du commerce international.

image GATT OMCAprès la seconde Guerre mondiale, un certain nombre de pays cherche à favoriser le libre-échange en signant un accord général sur les tarifs douanier et sur le commerce (GATT). Le but est de réduire (voire de supprimer) toutes les entraves aux échanges comme les barrières tarifaires (droits de douanes, subventions aux producteurs nationaux) et les barrières non tarifaires (réglementation contraignante, barrières administratives, prohibition commerciale, quotas, etc.). Puis le système GATT se transforme en véritable organisation internationale : l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995.

Ainsi les droits de douane ont considérablement diminué dans le monde, et des accords régionaux (ALENA, ASEAN, MERCOSUR, Union Européenne etc.) entre les pays se sont multipliés. Les exportations ont ainsi progressé bien plus vite que le PIB mondial.

image Smith et Ricardo

Pour rappel, Adam Smith (avec la théorie des avantages absolus à la fin du XVIIIè siècle) et David Ricardo (avec la théorie des avantages comparatifs au début du XIXè siècle) défendent le libre-échange. Ils démontrent que le libre-échange procure des gains à l’échange pour chaque pays qui y participe (jeu à somme positive).

image Vincent de Gournay

Remarque : on attribue à Vincent de Gournay au milieu du XVIIIè siècle la formule : «laissez faire, laissez passer» qui sera reprise par les physiocrates (courant de pensée né en opposition aux mercantilistes) et érigée en principe fondateur du libéralisme économique (la puissance publique doit intervenir le moins possible afin de laisser l’initiative aux agents économiques).


2 – quelles sont les avantages et les limites du libre-échange ?

Le principal argument invoqué en faveur du libre-échange est son effet positif sur le pouvoir d’achat.

Le prix de certains produits baisse, notamment ceux des produits importés en provenance de pays à bas salaire. Ainsi, même si le niveau généralisé des prix augmente (inflation), il augmente faiblement.

De plus, certains produits fabriqués en France le sont à partir de biens intermédiaires dont les prix ont diminué (car fabriqué dans des pays à bas salaire ou à plus forte productivité).

D’autres raisons peuvent être invoquées : l’ouverture internationale

- accroît la concurrence, or plus la concurrence est intense, plus les prix diminuent;

- permet aussi la diffusion du progrès technique, et le progrès technique permet de réduire les coûts de production, et donc les prix;

élargit les marchés et diminue les coûts de production des entreprises par les économies d’échelles et les effets d’apprentissage.


Remarque : certains économistes mettent en avant le commerce international pour expliquer la période de Grande Modération (croissance stable et non inflationniste), qui caractérise certains pays développés de la fin des années 1980 jusqu’à la crise de 2008.

Ainsi les ménages français peuvent consommer davantage. Il gagne du pouvoir d’achat, et selon une estimation basse, ce gain de pouvoir d’achat serait en 2014 de 1 000 euros en moyenne par ménage par rapport à 1994 (selon la Banque de France).

Les ménages français paient par exemple leurs habits moins chers, ils bénéficient d’une baisse située entre 1/3 et la moitié du prix.

Il est toutefois difficile de déterminer exactement quelles sont les conséquences du commerce international. La concurrence internationale s’exerce aussi sur certains emplois, ce qui se traduit par une pression à la baisse sur certains salaires et par des suppressions d’emplois qui entraînent un accroissement du chômage. Il y a donc aussi une diminution du pouvoir d’achat.

photo Branko Milanivic

Le libre-échange favorise donc le commerce international qui va permettre des gains de pouvoir d’achat grâce à une baisse des prix et une perte de pouvoir d’achat à cause de l’intensification de la concurrence dans certains secteurs qui exerce à son tour une pression à la baisse sur certains revenus. En réalité, il y des gagnants et des perdants, c’est ce que montre les travaux de l’économiste Branko Milanovic.


Tout d’abord, le commerce international permet de réduire les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres grâce à l’effet rattrapage et à l’insertion de ces derniers dans les chaînes de valeurs mondiales. Il aurait permis à plus d’un milliard d’individus de sortir de l’extrême pauvreté selon la Banque Mondiale.

Il y a bien une augmentation des inégalités, à l’intérieur même des pays. Celle-ci est mise en évidence par l’économiste Branko Milanovic sous la forme d’une courbe appelée «courbe de l’éléphant» :

image courbe de l'elephant

Il mesure les augmentations de revenus de la population mondiale en classant les individus des plus riches aux plus pauvres.

Il y a une augmentation des revenus des plus pauvres (dos de l’éléphant) mais surtout des catégories moyennes des pays émergents (moins riches que les catégories moyennes et populaires des pays développés et donc situées avant ces dernières sur le graphique).

La courbe chute assez brutalement : cela veut dire que les catégories moyennes et populaires des pays développés ne voient pas leurs revenus évoluer.

Puis la courbe redevient ascendante (trompe de l’éléphant) : les plus riches de l’ensemble des pays voient leurs revenus fortement augmenter (notamment les 1% les plus riches). Ainsi Branko Milanovic montre que les inégalités entre les riches et les catégories moyennes et populaires augmentent dans les pays développés. Selon lui, cette augmentation des inégalités explique les phénomènes politiques et sociaux comme la montée des nationalisme en Europe, le Brexit, l’élection de Donald Trump, le mouvement des gilets jaunes en France, etc.

D’autres facteurs que le commerce international peuvent expliquer cette augmentation des inégalités, et notamment le progrès technique, qui rend les salariés plus productifs et qui réduit mécaniquement le nombre d’emplois.

De plus l’action de l’État peut réduire ou non les inégalités par la redistribution.


3 – pourquoi le protectionnisme est-il nécessaire ?

photo F. List
Le protectionnisme éducateur est une forme de protectionnisme théorisé par Friedrich List vers le milieu du XIXè siècle qui a pour but de protéger le développement des «industries naissantes». Pour lui, ces industries ne pouvaient lutter à armes égales avec les industries des pays plus développés (rôle des économies d'échelle et des effets d'apprentissage) et, pour éviter leur blocage ou leur disparition, il était nécessaire de les mettre à l'abri de la concurrence à l’aide de barrières tarifaires (droits de douane) et / ou non tarifaires (interdictions, quotas, procédures administratives longues et complexes, etc.). Les droits de douanes représentent un coût supplémentaire pour les entreprises étrangères qui sont obligées de relever leurs prix et donc d’être moins compétitives.


Pourquoi les industries naissantes ont-elles besoin d’être protégées ?

Les entreprises étrangères produisent en grande quantité pour pouvoir exporter alors que les entreprises des industries naissantes produisent en faible quantité pour leur marché domestique. Ces dernières ne bénéficient donc pas d’économies d’échelles (coût unitaire qui diminue lorsque l’on produit en grande quantité), ni d’effets d’apprentissage (plus on fabrique un produit, plus on le fabrique de manière efficace), alors que les premières oui. Elles ont donc un coût de production supérieure à celles-ci et sont donc moins compétitive. Elles risquent de faire faillite et de disparaître.

Friedrich List défend l'usage de droits de douane en Allemagne pour permettre, face à la concurrence britannique, de développer une industrie nationale. List ne conçoit pas le protectionnisme comme un état permanent mais comme une condition à long terme de l'ouverture au libre-échange. Il défend l'idée d'un protectionnisme temporaire et limité.

Il ne s'oppose donc pas au libre échange puisque l'idée est d’ouvrir les frontières une fois que le secteur protégé est suffisamment compétitif et c’est en cela que l’on parle de protectionnisme offensif.

Y-a-t-il d'autres raisons de protéger son économie ?

Au delà de la théorie de Friedrich List, une nation peut avoir intérêt à protéger au moins temporairement ses industries vieillissantes (industries qui deviennent moins compétitives) afin de favoriser la reconversion progressive des salariés et de limiter les problèmes sociaux. On parle alors de protectionnisme défensif.

Une nation peut aussi chercher à protéger des secteurs soumis à une concurrence déloyale, ou des secteurs jugés important (sécurité alimentaire, sécurité nationale).

image masque anti covid
Par exemple, en plein coeur de l’épidémie de coronavirus, la France s’est retrouvée en pénurie de masques et de réactifs pour les tests car ceux-ci n’étaient quasiment plus fabriqués sur le sol français. Il a donc été pris la décision de subventionner ces productions (mesures protectionnistes) afin de ne plus se retrouver dans la même situation (et de faire des stocks).


Le protectionnisme peut donc être utile mais il présente des inconvénients.

Le protectionnisme modère la concurrence et renchérit (par des droits de douane) le prix des produits.

Il protège certains producteurs, mais en décourage d'autres (du fait de la baisse de la demande).

Il réduit la variété des produits.

Il désavantage donc le consommateur et le producteur.

Le protectionnisme place le pays qui le pratique dans une situation de risque de mesures de représailles (ou mesures de rétorsion) qui peut même conduire à une guerre commerciale (exemple : Etats-Unis / Chine pendant la présidence de D. Trump).

Le protectionnisme est parfois inapplicable (certaines importations comme le pétrole sont nécessaires).

Le protectionnisme mène à l'isolement, au retard dans l'introduction du progrès technique, à l’inefficacité des entreprises trop protégées (exemple : Corée du Nord).

Définition :
Le protectionnisme : doctrine et politiques économiques qui reposent sur l'application de mesures visant à favoriser les activités nationales et à pénaliser la concurrence étrangère.

En résumé, le libre-échange a permis de réduire la pauvreté dans le monde (banque mondiale), et le développement de pays comme Taïwan, la Corée du Sud, etc. ou tout récemment des pays émergents appelés BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Il permet de structurer la production en chaîne de valeur mondiale, et ainsi à un grand nombre de pays de participer à cette production. La production étant plus efficace, les consommateurs peuvent bénéficier de baisses de prix et d’une large gamme de produits. Il permet aussi au progrès technique de se diffuser.

Mais le libre-échange ne présente pas que des avantages : délocalisations, désindustrialisation, hausses des inégalités dans les pays développés, pays exclus des échanges (notamment les pays les moins avancés de l’Afrique subsaharienne), etc. et le protectionnisme peut parfois s’avérer utile. Toutefois, le protectionnisme n’est pas une solution enviable à long terme car il présente des inconvénients : hausse des prix, faible variété des produits, mesure de représailles, faible diffusion du progrès technique, etc.