Comment mesurer la mobilité sociale ?

1 - comment construire et interpréter les tables de mobilité ?

L’étude de la mobilité sociale cherche à mesurer les changements de position sociale entre les enfants et leurs parents. Pour mesurer cette position, l’Insee s’appuie sur les catégories socioprofessionnelles (CSP) réparties en six grands groupes au niveau général : les agriculteurs, les artisans-commerçants-chefs d’entreprise, les cadres supérieurs, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers.

image père fils

Les statisticiens comparent le plus souvent la situation des hommes d’un âge donné à celle de leurs pères au même âge. L’Insee sélectionne habituellement les hommes de 40 à 59 ans mais peut opter pour les 30-59 ans dans certaines études. En effet, Si l’on intègre des personnes trop jeunes, on prend le risque que leur position sociale ne soit pas stabilisée, et donc de sous-estimer leur mobilité.


* Comment construire une table de mobilité ?

Pour comprendre ces tables de mobilité, prenons un exemple simple : une société fictive qui porte sur une population de 1000 individus et où l'on distingue seulement deux CSP : les cadres et les ouvriers.

table 1

On peut donner deux interprétations de la donnée entourée :

- 200 cadres (fils) ont un père ouvrier

- 200 fils d’ouvriers sont devenus cadres.

- la dernière colonne correspond à l’ensemble des individus dont le père appartient à telle CSP : ainsi sur 600 fils d’ouvriers, 200 sont devenus des cadres. Il s’agit de la destinée : ce que sont devenus les fils en fonction de la CSP du père.

- la dernière ligne correspond à l’ensemble des individus (fils) appartenant à telle CSP : ainsi sur 550 cadres (fils), 200 ont un père ouvrier. Il s’agit du recrutement : d’où viennent les individus appartenant à telle CSP.

Ainsi, en ligne, sur 400 fils de cadres, 350 sont eux-mêmes devenus cadres, soit 87,5 %.

Calcul 1

Ce qui nous permet d'obtenir la table de destinée suivante :

table 2

Et en colonne, sur 550 cadres, 350 ont un père qui était lui-même cadre, soit 63,6 %.

Calcul 2

Ce qui nous permet d'obtenir la table de recrutement suivante :

table 3

Conclusion : on utilise des tables de mobilité afin de mesurer la mobilité sociale. On distingue deux types de tables : la table de destinée (en ligne) permet de mesurer ce que sont devenus les fils en fonction de la CSP du père et la table de recrutement (en colonne) permet de mesurer d’où viennent les individus appartenant à telle CSP.

Définition :
Table de mobilité : tableau à double entrée qui croise la position sociale d’individus (le fils en général) et celle de leurs parents (le père en général).


* Comment lire et interpréter une table de destinée ?

table 4


En France, 25 % des fils d’agriculteurs âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont eux-mêmes agriculteurs d’après l’Insee. 2,6 % des hommes de cette génération sont agriculteurs.

La mobilité sociale chez les agriculteurs est plutôt forte. En effet, un fils d’agriculteurs sur quatre (25%) devient agriculteur; cela veut dire que trois fils d’agriculteurs sur quatre occupent une autre profession.

On peut toutefois nuancer cette affirmation car les fils d’agriculteurs deviennent surtout des ouvriers, 32,5% soit un enfant d’agriculteurs sur trois, le métier d’ouvrier étant un métier manuel et peu qualifié, métier assez proche de celui d’agriculteur.

Ainsi, grâce à une lecture en diagonale d’une table de destinée, on peut déterminer quelles sont les professions où la mobilité est la plus forte, et quelles sont celles où la mobilité est la plus faible.

La profession qui connaît la plus forte mobilité est la profession des employés (car il s’agit du plus faible pourcentage : 16,6% et cela veut dire que peu d’enfants d’employés restent employés).

Toutefois les fils d’employés deviennent surtout des ouvriers (33,6% soit un sur trois) : il s’agit d’une mobilité horizontale.

Mais ils deviennent aussi des professions intermédiaires (26,1% soit un sur quatre), soit une mobilité sociale ascendante, même si le trajet est court.

Les professions qui connaissent la plus faible mobilité sont les ouvriers (47,6 % des enfants d’ouvriers deviennent des ouvriers) et les cadres (47 % des enfants de cadres deviennent des cadres).

Conclusion : ainsi à travers l’étude d’une table de destinée récente nous pouvons constater que la mobilité sociale en France est assez élevée, mais qu’elle est assez souvent horizontale ou que les trajets sont plutôt courts (mobilité vers une CSP assez proche).


* Comment lire et interpréter une table de recrutement ?

table 5

En France, 81,1 % des agriculteurs exploitants âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 ont un père qui était lui-même agriculteur d’après l’Insee. 8,5 % des hommes âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 ont un père agriculteur.

Cela veut dire que les agriculteurs recrutent quasi-exclusivement dans leur catégorie.

Ainsi, si l’on résume :

⇒ parmi les agriculteurs exploitants, 81,1% ont un père agriculteur (table de recrutement).

⇒ parmi les fils d’agriculteurs, 25,0% sont eux-même devenus agriculteurs (table de destinée).

Ces données ne sont pas contradictoires : les agriculteurs recrutent quasi-exclusivement dans leur catégorie. Mais comme le nombre d’agriculteurs diminue, beaucoup d’enfants d’agriculteurs doivent exercer une autre profession.

2 - quelles sont les limites des tables de mobilité ?

Les tables de mobilité sont des outils efficaces pour étudier la mobilité sociale. Elles connaissent néanmoins un certain nombre de limites :

image pyramide salariés




- l'utilisation des PCS dans l'élaboration des tables de mobilité permet une hiérarchisation pour les salariés, mais pas pour les indépendants


image mobilité sociale femmes

- l'augmentation de l'activité professionnelle des femmes n'est pas suffisamment pris en compte (il est par ailleurs très difficile d'en tenir compte puisqu'il faudrait comparer la situation des femmes actuelles avec celle de leurs mères qui appartiennent aux générations de plus faible activité professionnelle)

- on ne peut pas non plus croiser la mobilité des filles avec celle de leur père car celle-ci ferait apparaître une mobilité structurellement descendante


- d'autres formes de mobilité (comme le mariage) existent et ne sont pas prises en compte dans les tables de mobilité

- l'augmentation des formes non traditionnelles de la famille (familles monoparentales, familles recomposées) rendent moins pertinent le fait de repérer l'origine sociale des personnes par la seule position qu'occupait leur père

image femme aide devoirs

- le rôle de la mère semble s'être accru dans la réussite scolaire de l'enfant, école qui est devenu le facteur principal de mobilité ; il apparaît donc primordial de tenir compte au moins du diplôme de la mère dans le repérage de l’origine sociale


image mariage

Remarque : il existe un autre facteur de mobilité sociale non mesuré par les tables de mobilité : l’alliance ou le mariage. Malgré la persistance d'une certaine homogamie (tendance à se marier ou à se lier avec des individus appartenant à des milieux sociaux et culturels proches ou similaires), l'hypergamie (le fait de se lier avec un individu appartenant à un milieu socialement plus élevé) peut être source de mobilité ascendante, ou un frein à une mobilité descendante des femmes (exemple : femme employée, fille de cadre, épousant un cadre).