* Comment le numérique brouille les frontières du travail (télétravail, travail / hors travail) ?
Le télétravail est le fait de travailler pour son entreprise depuis son domicile ou un autre lieu choisi par l’entreprise (un espace co-working proche du domicile du salarié en règle général).Le télétravail réduit le temps et la fatigue des déplacements entre le domicile et l’entreprise. Il permet de rentrer moins tard donc de concilier plus facilement sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Il permet de s’organiser comme on le souhaite.
Mais le télétravail réduit aussi la frontière entre temps de travail et temps de non travail. Le risque est donc de travailler constamment, de ne jamais se détacher complètement de son travail (le soir, le week-end, en vacances), donc de voir la charge de travail augmenter.
De plus, les télétravailleurs se sentent plus fréquemment isolés, stressés, et ont plus fréquemment peur d’être licenciés.
Le télétravail, s’il est trop fréquemment pratiqué, réduit la présence physique du salarié dans l’entreprise, donc le salarié se sent oublié, a moins de relations directes avec ses collègues, ses supérieurs, n’a plus l’impression d’être indispensable, ce qui peut se traduire par plus de stress ainsi qu’une plus grande crainte.
Ainsi le numérique, et notamment le télétravail, brouille les frontières du travail. Beaucoup de salariés ne comptent pas leurs heures quand ils télétravaillent. Beaucoup de salariés travaillent même pendant les vacances, ne serait-ce qu’en ouvrant leurs courriels. Ainsi, la France intègre un droit à la déconnexion à son code du travail depuis le 1er janvier 2017.
Définitions :Numérique : ensemble des technologies liées à l’informatique, internet et aux nouveaux modes de télé-communication.Télétravail : forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les outils du numérique.
* Comment le numérique transforme les relations d’emploi ?
Le développement des plateformes numériques qui mettent en relation directe des travailleurs et leurs clients, telles qu’Uber, modifie les relations d’emploi. Ce phénomène d’ubérisation, permis par le numérique, développe le travail d’indépendant (l’individu travaille à son compte) mais rend les travailleurs dépendants vis-à-vis de la plate-forme comme les salariés le sont vis-à-vis de leur entreprise. Ainsi, Uber a été condamné pour travail dissimulé.
* comment le numérique accroît les risques de polarisation des emplois ?
Les technologies numériques remplacent le travail routinier (substitution du travail par le capital) et sont donc responsables de destructions d’emplois faiblement et moyennement qualifiés.
Elles sont aussi responsables de créations d’emplois faiblement qualifiés (comme les coursiers) et elles ne menacent pas certains emplois faiblement qualifiés en plein essor comme les services à la personne (aides ménagères, aides soignantes, etc.).
Ce qui fait que la part des emplois faiblement qualifiés dans l’emploi total progresse alors que la part de l’emploi moyennement qualifié dans l’emploi total régresse.
Les technologies numériques créent des emplois très qualifiées (comme ingénieurs) et sont complémentaires des emplois très qualifiés (comme l’aide au diagnostic médical) : la part de l’emploi très qualifié dans l’emploi total progresse donc fortement.
Conclusion : le numérique accroît le risque de polarisation des emplois, c’est-à-dire l’augmentation de la part des emplois faiblement et fortement qualifiés et la diminution de la part des emplois moyennement qualifiés dans l’emploi total.
Définition :Polarisation des emplois : augmentation de la part des emplois faiblement et fortement qualifiés et diminution de la part des emplois moyennement qualifiés.
* comment l'augmentation du chômage affaiblit-il le pouvoir intégrateur du travail ?
Les Chômeurs de Marienthal est un ouvrage de Paul Lazarsfeld, Marie Jahoda et Hans Zeisel, paru en 1933. Ce livre est le résultat d'une enquête menée en Autriche. Une usine de textile ferma en 1930, et les auteurs observèrent les conséquences sociales de ce chômage de masse sur cette ville de 1500 habitants (aujourd'hui une partie de Gramatneusiedl). Petit à petit, les individus privés à la fois d'emploi et de salaire, sombrent dans un désespoir et une misère sociale. Plus personne ne vit pour la communauté, la nourriture vient à manquer, elle est rationnée, et les individus délaissés n'écoutent plus la radio, ne lisent plus les journaux et laissent la ville se déliter elle aussi peu à peu.
La perte d’emploi entraîne donc une perte de revenu et donc une diminution de la consommation.
Mais elle s’accompagne aussi d’un retrait de la part des chômeurs de la vie sociale (moindre participation aux fêtes, à l’activité politique, syndicale, ect.) et d’une difficulté pour ces derniers à se projeter dans l’avenir. De plus, le temps perd son rôle de structuration de la vie quotidienne (certains ne se lèvent plus le matin par exemple). Le lien social se délite, le travail ne joue plus sa fonction d’intégration sociale.
Définition :Intégration sociale : processus par lequel l’individu intériorise les normes et les valeurs d’un groupe social afin de s’y insérer.
Remarque : l’intégration sociale désigne aussi la capacité du groupe à insérer les individus par la contrainte (contrôle social) et la solidarité.
Le taux de chômage a fortement augmenté depuis la fin des Trente Glorieuses et il persiste à rester à un niveau élevé. Si le chômage touche une part plus importante de la population active, cela veut dire que le travail joue de moins en moins son rôle d’intégrateur social et que cette tendance s’inscrit dans la durée.
Remarque : les catégories ne sont pas touchées de la même manière par ce phénomène. Entre 1982 et 2018 le taux de chômage des cadres et professions intellectuelles supérieures à augmenté de seulement 13,3 % alors que celui des ouvriers non qualifiés a presque été multiplié par 2 et se situe à un niveau de plus de 5 fois supérieur.
* comment la précarisation croissante des emplois affaiblit-elle le pouvoir intégrateur du travail ?
Le CDI est un contrat à durée indéterminée. Il est censé durer toute la vie active du salarié (sauf si ce dernier est licencié). Le CDI à temps plein est considéré comme un emploi stable car il permet de se projeter dans l’avenir et donc d’avoir accès à des avantages dont notamment l’accès au crédit et au logement.
Le CDD est un contrat conclu pour une durée limitée et précisée, au départ, dans le contrat. Il s’agit d’un emploi précaire, tout comme l’interim ou le contrat d’apprentissage, car il place le salarié dans une position de fragilité, de vulnérabilité et d'incertitude face à l'avenir.
On trouve donc :
- d’un côté des salariés bénéficiant d’emplois stables, bien rémunérés, avec un accès à la formation et des possibilités de promotions, donc bénéficiant d’une bonne intégration sociale
- et d’un autre côté des salariés bénéficiant d’emplois précaires, faiblement rémunérés, avec une plus forte probabilité de se retrouver au chômage ou à l’inactivité que d’accéder à l’emploi stable, avec peu de possibilité d’accès à la formation et donc bénéficiant d’une intégration sociale de moindre qualité.
On parle alors de polarisation de la qualité des emplois ou encore de dualité du marché du travail.
L’emploi stable reste majoritaire en France, mais avec la précarisation croissante des emplois, on assiste à un affaiblissement du pouvoir intégrateur du travail.
Conclusion : on assiste donc à un paradoxe : le travail reste plus que jamais une condition d’intégration sociale et un producteur de lien social, alors que les conditions d’accès à un emploi stable sont de plus en plus difficiles, notamment pour certaines catégories de la population active (jeunes, peu qualifiés, etc.)