Quelles sont les évolutions du lien social ?


1 – comment la société devient-elle plus individualiste ?


image E. Durkheim
«Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ?», s’interroge le père fondateur de la sociologie, Emile Durkheim. La division du travail sociale est un phénomène lié, pour lui, au développement de la taille des sociétés, pendant la Révolution industrielle. Les individus, dans ce type de société se spécialisent (répartition des tâches en différents métiers). En cela, ils se différencient et deviennent plus autonomes (ils s’individualisent, ils sont libres de choisir leurs actes et leurs croyances). Mais en même temps, ils deviennent interdépendants : la solidarité sociale (ou lien social) se transforme.


Concrètement, de nouveaux rapports sociaux, économiques et politiques bouleversent progressivement l’ordre social traditionnel :

- affaiblissement de l’emprise de la religion et des superstitions sur les représentations,

- baisse de l’influence de la famille sur les destinées,

- recul du pouvoir des autorités traditionnelles sur les individus (autorité du chef de famille, du chef de village, des personnes âgées, etc.).

Remarque : la solidarité sociale peut être considérée comme un synonyme de lien social.

Dans les sociétés traditionnelles, société à solidarité mécanique, le lien social est fondé sur le fait que les individus sont très peu différenciés : ils sont semblables et interchangeables dans leurs fonctions économiques, ils partagent les valeurs et les croyances du groupe, les normes sociales sont très coercitives et fortement homogènes (forte conscience collective).

C'est donc une solidarité par similitude, fondée sur la ressemblance entre individus et leur conformité aux normes, aux valeurs et aux rôles sociaux traditionnels.

Définition :
Solidarité mécanique : type de lien social, caractéristique des sociétés traditionnelles, qui repose sur les similitudes entre membres et une croyance collective forte
.

Mais dans les sociétés modernes, sociétés à solidarité organique, le lien social est fondé sur les différences et la complémentarité / interdépendance entre les individus. La conscience collective est toujours présente mais elle s'impose moins fortement aux individus, qui développent leur personnalité (importance accrue des consciences individuelles et affaiblissement des croyances collectives).

Définition :
Solidarité organique : type de lien social caractéristique des sociétés modernes, où la division du travail est forte, les individus différenciés mais interdépendants, et la conscience collective faible
.

Ainsi, à l’époque de Durkheim, la société s’industrialise et se modernise. On passe donc d’une société traditionnelle à une société moderne. En même temps le lien social se transforme : on passe d’une solidarité mécanique à une solidarité organique.


image panneau attentionAttention : cela ne veut pas dire que la solidarité mécanique disparaît de la société moderne, mais elle occupe une place moins importante.


Conclusion : il y a donc simultanément une individualisation grandissante et une interdépendance croissante des individus : le développement de l’individualisation ne se traduit pas par une montée des égoïsmes, ni par un affaiblissement de la solidarité, mais par une transformation des formes de solidarité.


2 – comment les nouvelles sociabilités numériques contribuent-elles au lien social ?


image réseaux sociaux
Les réseaux sociaux numériques ne permettent pas réellement, pour la majorité des individus, de se faire plus d’amis ou d’élargir son cercle de connaissance. Ils ne permettent pas, non plus, de voir plus souvent ses amis ou de sortir plus souvent. Toutefois, certains réseaux comme Facebook, permettent de reprendre contact avec d’anciennes connaissances et d’entretenir les liens faibles.


Toutefois, l’utilisation des réseaux sociaux implique une maîtrise suffisante du numérique. Or certains individus n’ont pas cette maîtrise : on parle alors d’illectronisme.


critères PCS

Ainsi les exclus du numérique sont des non diplômés, des personnes âgées, des personnes seules au foyer, et des habitants de petites communes.

On peut en conclure que les utilisateurs des réseaux sociaux numériques sont plutôt jeunes, diplômés, non isolé et n’habitant pas dans des petites communes.


Conclusion : les relations « virtuelles » ne se substituent donc pas aux relations de « face-à-face », et il y a plutôt une continuité entre ces deux sociabilités. Les individus (particulièrement les jeunes) font fréquemment usage des réseaux et outils numériques pour communiquer avec des personnes avec lesquelles ils entretiennent par ailleurs des relations de face-à-face : plus on se voit, plus on s’appelle, et plus on est en contact via les réseaux numériques.


3 – comment le lien social peut-il s’affaiblir ou rompre ?

Le travail est un vecteur essentiel d’intégration, mais l’effritement de la société salariale (montée de la précarité, existence de travailleur pauvres, hausse du chômage, affaiblissement des droits du travail, etc.) remet en cause son rôle intégrateur.

La perte de travail conduit à un processus de désaffiliation conduisant à l’absence de participation à toute activité (productive et sociale) et à l’isolement relationnel (voire l’étude faite par P. Lazarsfeld sur les chômeurs de Marienthal).

D’où l’apparition d’un paradoxe : le travail reste plus que jamais une condition d’intégration sociale et un producteur de lien social, alors que les conditions d’accès à un emploi stable sont de plus en plus difficiles, notamment pour certaines catégories de la population active (jeunes, peu qualifiés, etc.)

Par exemple les jeunes d’origine maghrébine vivant dans des zones sensibles sont victimes de ségrégation sociale. L’une des principales conséquence de cette ségrégation est la discrimination à l’embauche. Ces jeunes se retrouvent donc exclus durablement du marché du travail et sont donc touchés par le processus de désaffiliation sociale.

Il y a différentes réaction de la part de ces jeunes vis-à-vis de ce processus :

- certains fuient la région

- d’autres se replient sur certaines niches du marché du travail (sécurité, éducateur spécialisé, etc.)

- d’autres «glandent» ou vivent de petit trafics

- quelques uns peuvent se radicaliser.

Enfin, les ruptures familiales, et plus particulièrement les divorces et les séparations peuvent aussi conduire à des situations d’isolement. Sous l’effet du processus d’individualisation, le couple se fonde de plus en plus par choix du conjoint sur la base du sentiment amoureux. Ce sentiment pouvant facilement disparaître, cela a pour effet de rendre les couples plus fragiles et de multiplier les séparations.


image R. Castel
Ainsi, pour le sociologue Robert Castel, un individu se trouve nécessairement dans l’une des trois zones suivantes :

Zone d'intégration : l'individu dispose d'un emploi stable et d'une forte sociabilité (famille, amis, etc.)

Zone de vulnérabilité : emploi moins stable (CDD, emploi à temps partiel, etc.) et / ou affaiblissement des liens sociaux avec l'entourage (famille, amis, etc)

Zone de désaffiliation : inemployabilité (chômage, emplois précaires, etc.) et / ou isolement social.


Définition :
Désaffiliation sociale : processus traduisant le passage d’un individu de l’intégration à l’exclusion sociale
.

Le sociologue Serge Paugam ne parle pas de désafiliation sociale mais de disqualification sociale. Celle-ci conduit l’individu, en trois phases successives, à l’exclusion sociale, c’est-à-dire à la rupture du lien social. Les trois phases sont les suivantes :

image R. Castel
1 – la fragilité :
l’individu se rend compte de sa disqualification sociale progressive (perte d’emploi, impossibilité d’en retrouver, inemployabilité progressive ou dit autrement éloignement progressif du marché du travail)

2 – la dépendance : l’individu devient dépendant des travailleurs sociaux et des aides de la protection sociale et est stigmatisé (traité d’«assisté»).

3 – la rupture du lien social : désocialisation (discutée par certains sociologues), marginalité, cumul des problèmes (éloignement du marché de l’emploi, problèmes de santé, absence de logement, perte de contact avec la famille, etc.)


Définition :
Disqualification sociale : processus d’affaiblissement ou de rupture des liens de l’individu à la société caractérisé par la perte de la protection et de la reconnaissance sociale
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